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Moselle : le oui-non au gaz de houille

29 avril 2016

Un article long mais à lire absolument, avec attention, car il préfigure ce qui nous attend sans doute. En Moselle, les municipalités disent non, mais la Dreal dit oui ! Que se passera-t-il chez nous ?

Nous savons également que des décisions cruciales peuvent être prises sur la base de simples déclarations d’intentions (de bonnes intentions, bien sûr) de la part des sociétés gazières et pétrolières.

Or, en Moselle comme ici, la société en question s’appelle la Française de l’énergie, et elle est bourrée de bonnes intentions…

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Par Arnaud STOERKLER dans La Semaine.fr

La préfecture de Moselle a accordé de nouveaux forages à la française de l’énergie le 29 mars

 

Après la décision de la préfecture d’autoriser la Française de l’énergie à ouvrir de nouveaux puits d’exploration d’hydrocarbures, l’association pour la protection de l’environnement local en Moselle (Apel 57) reste mobilisée : préoccupée par les risques liés à une éventuelle exploitation du gaz de couche, elle regrette comme d’autres habitants de ne pas avoir été assez entendue par les pouvoirs publics.

Le soleil est un réservoir d’énergie. La preuve sur les hauteurs boisées et vallonnées de Longeville-lès-Saint-Avold, le 10 avril, où il a contribué au succès d’une marche de sensibilisation à l’histoire et à la nature des environs, dont les points de départ et d’arrivée se sont situés… à l’emplacement de deux futurs puits miniers d’exploration d’hydrocarbures de la Française de l’énergie.
Organisé par l’association pour la protection de l’environnement local en Moselle (Apel 57), l’évènement a répondu à la récente décision de la préfecture de Moselle d’autoriser cette société à ouvrir de nouveaux travaux miniers à Zimming, Lachambre et Longeville-lès-Saint-Avold. Objectif : explorer le sous-sol pour y trouver du gaz de houille, et tenter de l’exploiter industriellement.
Un regret, voire un « déni de démocratie » pour les quelques centaines de participants à cette marche, hostiles à ce projet industriel jugé risqué : une pétition locale a recueilli 1 500 signatures en dix jours, plusieurs cahiers ont été noircis par des habitants sceptiques lors de l’enquête publique liée à ces demandes d’ouverture et les élus des trois communes s’y sont majoritairement opposés en donnant un avis défavorable, mais uniquement indicatif, sur ces nouveaux forages.
Pas suivie dans ses doutes par les pouvoirs publics (voir ci-dessous), l’Apel 57 avait imaginé un rendez-vous festif et décalé : en lieu et place d’une protestation stérile, elle a invité trois historiens locaux pour guider sa marche et éclairer les randonneurs sur le patrimoine naturel environnant.
L’idée tranche au sein du paysage longevillois, où les empreintes d’une opposition farouche gagnent lentement l’espace public : les messages « Non au gaz de couche » fleurissent en inscriptions blanches sur la route ou en pancartes, accrochées aux fenêtres de certaines habitations.

À 300 mètres d’un forage

Entre le recensement de 14 sources d’eau naturelle connues ou méconnues sur le site du Kerfent, l’existence d’un hêtre portant une inscription datée de 1942 où l’on peut lire en allemand « La croix gammée ne vaincra pas » et la présence d’ouvrages de la ligne Maginot, la richesse de ce coin de Moselle-Est constitue une évidence.
Pas de quoi faire oublier la motivation principale des marcheurs, résumée avec finesse par l’une des participantes : « Je m’intéresse à mon cadre de vie, et je tiens à le voir préservé », confie Christiane, secrétaire à la retraite, venue de Saint-Avold « en solidarité » des habitants les plus proches des projets miniers : « On impose un peu ce projet aux gens, qui n’ont pas été directement informés. »
Certains, par exemple, n’ont pas été concernés par l’enquête publique, alors qu’ils seront impactés par ces travaux d’exploration : « J’habite à Boucheporn, à exactement 300 mètres du futur forage le plus proche », confie une randonneuse, qui appréhende notamment les « nuisances sonores ».
Martine, une Longevilloise, est venue pour « mieux visualiser l’emplacement des forages ». « Ce n’est pas nouveau, notre région est sinistrée en matière de dégâts miniers. Et faire d’autres trous dans un sous-sol qui ressemble déjà à un gruyère… », souffle l’hôtesse d’accueil, sans terminer sa phrase.
Georges va plus loin tout en plongeant sous l’ombre d’un bout de forêt, dans le pas des autres marcheurs : « J’ai du mal à comprendre que certains veulent encore chercher les dernières bricoles d’énergie fossile qui se trouvent dans notre sous-sol, alors que les progrès techniques nous permettent aujourd’hui de réaliser des champs de panneaux solaires et de cultiver des micro-algues aptes à produire de la méthanisation », s’interroge cet ancien instituteur. « Cela donne l’impression que ceux qui autorisent ces projets miniers ne vivent pas avec leur temps. »

‘‘Ne pas être dupe’’

D’autres comme Nathalie ont « peur » de voir leur territoire sacrifié « comme aux États-Unis », où l’exploitation du gaz de schiste a multiplié les risques de secousses sismiques et engendré la pollution de nappes phréatiques. Une angoisse évacuée par les arguments de la Française de l’énergie : la société ne compte pas utiliser le procédé de fracturation hydraulique (interdit en France), a vu son étude d’impact environnemental validée par les pouvoirs publics et argue d’une technique d’exploitation entièrement propre.
« Pourtant, alors qu’elle présente ses projets partout comme sans risque, un document de base pour son entrée en Bourse, en accès libre sur son site web, montre que ces risques existent bel et bien », constate Marieke Stein, maître de conférences à l’université de Lorraine et initiatrice de l’Apel 57.
Page 46 de ce rapport : « Les activités d’exploration et de production de gaz naturel du groupe (la Française de l’énergie et ses filiales, ndlr) pourraient également mettre en danger les ressources hydriques et la qualité du sous-sol, particulièrement dans le cas de déversements d’hydrocarbures dans les nappes phréatiques ou le sous-sol. Ces déversements pourraient porter atteinte à l’environnement et aux habitants vivant à proximité de chaque installation d’exploration et zone de stockage et pourraient contraindre ainsi la société (la Française de l’énergie, ndlr) à engager des frais d’assainissement et de remise en état, et des frais juridiques élevés. »
Face à un projet industriel d’une telle envergure, les opposants partagent un même mot d’ordre : « Ne pas être dupe », résume une énième Longevilloise, cachée derrière une épaisse paire de lunettes. De soleil.


Pour l’État, tout est sous contrôle

Selon la préfecture de Moselle, les projets de la Française de l’énergie respectent la législation nationale. Voilà pourquoi elle l’a autorisée à forer trois nouveaux sites, dans des arrêtés qui les encadrent strictement à travers l’interdiction de la fracturation hydraulique et un contrôle accru des explorations.

« Si l’État avait été face à des méthodes non-autorisées et risquées, il aurait rendu un avis négatif sur le projet de la Française de l’énergie », affirme Alain Carton, secrétaire général de la préfecture de Moselle. En l’absence de tels éléments, c’est tout naturellement que le préfet du département a officiellement autorisé, le 29 mars, la Française de l’énergie à rechercher des hydrocarbures liquides ou gazeux sur trois nouveaux sites est-mosellans : Zimming, Lachambre et Longeville-lès-Saint-Avold.
La partie n’a pas été un long fleuve tranquille pour autant : l’instruction des dossiers a réellement débuté par le lancement de trois enquêtes publiques, en octobre 2015, au sein des trois communes. Pour chacune d’entre elles, un commissaire-enquêteur a remis un avis sur le projet en question : il s’est révélé défavorable à Zimming, et favorable avec des réserves à Lachambre comme à Longeville-lès-Saint-Avold.
Sollicités à titre indicatif, les conseils municipaux respectifs des trois communes se sont déclarés hostiles à ces explorations. Cela n’a pas empêché la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), qui pilote l’ensemble du dossier, de trancher en faveur d’une autorisation et de présenter trois projets d’arrêtés à la préfecture.
Avant l’autorisation finale du préfet, un dernier avis, positif, a été rendu par ses services : celui du Coderst, le conseil de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques, dont les membres sont issus de toutes les grandes instances du département.

Pédagogie

« Après avoir pris connaissance du dossier et entendu deux associations opposées au projet, les maires des trois communes et le président de la Française de l’énergie Julien Moulin, le Coderst s’est prononcé en faveur d’une autorisation », détaille Alain Carton. Certains, minoritaires, s’y sont opposés, comme l’association Mirabel Lorraine Nature Environnement, la fédération de pêche de Moselle, des représentants d’associations de consommateurs ou encore la société d’histoire naturelle du département.
Pourquoi leur appréhension, la même que celle des maires locaux et d’une partie de la population, n’a-t-elle pas été suivie ? « Parce qu’il y a eu des ambiguïtés sur le procédé de forage utilisé par la Française de l’énergie, sur le type de gaz extrait ou encore sur les risques et accidents potentiels de cette activité, suite à un défaut d’information », estime Alain Carton. « Nous avons fait part à la société de ce problème de communication, de la nécessité de bien véhiculer l’information lorsqu’elle n’est pas à caractère confidentiel. Un travail de pédagogie a donc été fait pour permettre de lever les craintes de l’opinion, infondées pour la plupart. »
Relevé par l’un des commissaires-enquêteurs lors de l’enquête publique, ce défaut de communication ne semble pas complètement dissipé : la Française de l’énergie axe depuis février sa campagne publicitaire sur une étude de l’Ifeu, entité allemande spécialisée dans les énergies, qui a conclu que « le bilan carbone de la production et de l’acheminement du gaz de houille » de la société aurait « une empreinte environnementale dix fois inférieure en moyenne à celle du gaz importé ». Problème, cette étude n’est « pas publique » et donc impossible à vérifier.

Transparence

Selon le secrétaire général de la préfecture, le mouvement contestataire à l’encontre de ces projets d’exploration n’est plus que « sporadique » depuis l’autorisation préfectorale du 29 mars. Sur le terrain, il paraît au contraire mieux structuré qu’il y a quelques mois avec la création d’une association en début d’année, en plus de l’existence de plusieurs collectifs locaux.
« Nous les avons entendus, mais il y a une réglementation française et le projet de la Française de l’énergie n’y contrevient pas : il n’y aura pas de fracturation, les forages seront réalisés entre 700 et 900 mètres de profondeur et le sous-sol sera protégé », affirme Alain Carton.
D’après lui, les arrêtés de la préfecture destinés à encadrer les activités de la société s’avèrent suffisamment restrictifs : « Une sorte de comité de suivi sera installé, composé d’élus, de membres des services de l’État, de la Française de l’énergie et d’associations, pour permettre d’échanger des informations et d’observer les opérations en toute transparence », note-t-il. « Il faut aussi rappeler que les trois arrêtés autorisent uniquement la recherche de gaz, pas son exploitation à grande échelle. Si, à l’avenir, la Française de l’énergie confirme l’intérêt d’un gisement suffisant à réunir les conditions d’une réelle exploitation, elle devra solliciter un nouveau titre de concession qui sera soumis à une nouvelle phase de consultation. Rien ne sera automatique, il y aura dans ce cas une nouvelle enquête publique. »
En mars, la Française de l’énergie ne doutait pas du résultat de ses éventuelles demandes d’exploitation : dans son document de base de demande d’entrée en Bourse sur le marché français, elle affirme qu’elle « devrait être en mesure de lancer sa première mise en production de gaz en 2018 ».

=> Retrouver l’article original sur La Semaine.fr

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